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ArrĂȘtons l'arrĂȘtĂ©



ArrĂȘtĂ© sur l'expertise des psychologues : "Il y a une volontĂ© de l'assujettir au champ mĂ©dical"

Tribune

Par Laurent Dupont , Caroline Leduc , AngĂšle Terrier et Ă‰ric Zuliani

PubliĂ© le 

Une nouvelle fois les pratiques du champ psy, aujourd’hui celles des psychologues, sont la cible d’un coup de force autoritaire visant Ă  les normer et rĂ©duire leur diversitĂ©. Ce coup de feu sur la profession et ces offensives sur les dispositifs d’accueil de la souffrance psy visent Ă  promouvoir une conception de la souffrance psychique et du handicap Ă©loignĂ©e de la rĂ©alitĂ© du terrain des pratiques quotidiennes. De fait, la bureaucratie sanitaire veut installer, depuis plusieurs annĂ©es, le Neuro Ă  tous les Ă©tages conjointement Ă  une protocolisation abusive des pratiques et Ă  une rĂ©duction croissante des moyens allouĂ©s Ă  l’accueil de la prĂ©caritĂ© subjective. Ne nous y trompons pas, cette volontĂ© de rĂ©duire l’humain Ă  ses seules synapses est une mise au pas de ce qui fait la singularitĂ© de chacun, ses Ă©prouvĂ©s, son histoire, son dĂ©sir, ses Ă©motions au profit d’une vision mĂ©caniste de l’humain.

PUBLICATION AU JO DE L'ARRÊTÉ

C’est d’abord la publication au Journal Officiel de l’arrĂȘtĂ© du 10 mars dernier « relatif Ă  la dĂ©finition de l’expertise des psychologues », qui est, Ă  bien des titres, inacceptable. Il vise Ă  mettre la profession en coupe rĂ©glĂ©e, en la subordonnant au champ mĂ©dical et aux recommandations de la Haute autoritĂ© de santĂ© qui n’ont pourtant pas force de loi. En 2018, la Cour de cassation a ainsi indiquĂ© que « les recommandations et guides des bonnes pratiques Ă©laborĂ©s par la Haute autoritĂ© de santĂ© sont destinĂ©es Ă  l’information des professionnels de santĂ© et du public Ă  l’Ă©gard desquels ils n’ont pas de caractĂšre obligatoire ». En outre, cet arrĂȘtĂ© ne propose qu’un seul rĂ©fĂ©rent, celui du cognitivo-comportementalisme, en dĂ©duisant, sans grandes surprises, du seul « diagnostic » extensible Ă  l’envi de « trouble du neuro-dĂ©veloppement » des actions de « remĂ©diation neuropsychologiques et de la psychoĂ©ducation ».

« Ă‰valuation », « expertise », « mĂ©thodes », « programme », constituent l’ossature de cet arrĂȘtĂ© qui se conclut par une mise sous tutelle de la pratique psychologique, contractualisĂ©e, en la conditionnant Ă  la prescription d’un mĂ©decin coordinateur. Ce ne sont Ă©videmment pas les recherches en neurosciences ni les avancĂ©es mĂ©dicales qu’elles ont permises qu’il s’agit lĂ  de remettre en question, mais ce qu’une idĂ©ologie scientiste tente de leur faire dire dans le champ psy pour faire taire le sujet de la parole. Ce projet de plateformes, lieux d’accueil de jeunes autistes et de leurs parents, mĂ©ritait mieux que cet arrĂȘtĂ©. Les parents aussi ont besoin d’ĂȘtre entendus, autant dans leur souffrance que dans leur savoir y faire, leurs propres compĂ©tences ; c’est ce que proposent les thĂ©rapies de la parole, bien loin des stĂ©rĂ©otypes Ă©culĂ©s que vĂ©hiculent les adversaires de la psychanalyse.

UNE INITIATIVE RÉCENTE DE DÉPUTÉS LR

Il faut ajouter Ă  cela l’initiative rĂ©cente de quelques dĂ©putĂ©s Les RĂ©publicains d’une proposition de loi « visant Ă  la crĂ©ation d’un ordre des psychologues »enregistrĂ©e le 7 avril dernier sans concertation des reprĂ©sentants de la profession, dans le mĂȘme temps oĂč se mettaient en place des dispositifs de remboursement de consultations psychologiques. S’appuyant sur « l’urgence sanitaire et Ă©conomique » et « l’impact de la pandĂ©mie sur le moral de nos concitoyens », remarquons d’un cĂŽtĂ© la volontĂ© de « davantage s’appuyer sur les psychologues » – mais notons qu’il s’agit de « pallier la pĂ©nurie de psychiatres hospitaliers » –, tout en dĂ©nigrant leur « formation inĂ©gale », le marchĂ© du travail saturĂ©, la non-protection du public – retour comme en 2004, avec l’amendement Accoyer, du soupçon de charlatanerie.

Cette contradiction, lĂ  encore, tĂ©moigne d’une volontĂ© de mettre de l’ordre – c’est le cas de le dire – dans une profession que l’on prĂ©sente en dĂ©sordre sans plus d’arguments. Enfin, comme dans l’arrĂȘtĂ©, la proposition de loi soutient l’idĂ©e que cet « ordre des psychologues sera affiliĂ© aux professions de santĂ© », infĂ©odant la pratique psychologique Ă  la prescription mĂ©dicale. Si l’on sait lire, au-delĂ  des bonnes intentions d’un code de dĂ©ontologie – qui serait contre ? –, les consĂ©quences de cette proposition de loi tiennent en quelques mots que l’on trouve Ă  la fin : « Mettre en forme les rĂ©fĂ©rentiels mĂ©tiers », impliquant une remise en cause des formations et des pratiques.

ArrĂȘtĂ©, proposition de loi, dispositif de remboursement forment un ensemble articulĂ©, qui participent d’une mĂȘme visĂ©e : assujettir la psychologie au champ mĂ©dical, rĂ©duire l’empan de ses pratiques pour des raisons de gestion des moyens toujours moindres allouĂ©s au champ psy.

UN ENJEU DE CIVILISATION

Mais les consĂ©quences vont bien au-delĂ  et soulĂšvent un enjeu de civilisation : l’intention depuis plusieurs dĂ©cennies de remplacer les formations et pratiques psy d’Ă©coute, de relation et de parole des champs universitaire, sanitaire, mĂ©dico-social et social, par les prĂ©tendus pouvoirs du cerveau. Cette mĂȘme tentative s’observe aussi dans l’Éducation nationale oĂč le Neuro s’est introduit dans l’approche des Ă©lĂšves, comme dans la tentative rĂ©cente d’effacer du programme de terminale l’enseignement de Freud entre autres.

C’est pour ces raisons majeures que l’École de la Cause freudienne organise ce Forum en coordination avec d’autres Ă©coles de psychanalyse, des syndicats de psychologues, l’inter-collĂšges des psychologues hospitaliers et des praticiens dĂ©jĂ  confrontĂ©s Ă  la tentative de mise en place de ces mĂ©thodes autoritaires. Il s’agit de contrer cette menace, car la psychanalyse a toujours Ă©tĂ© attentive aux conditions Ă©pistĂ©miques et dĂ©mocratiques des pratiques de parole. Cette offensive aurait pour consĂ©quence de faire taire ces pratiques et d’effacer tout l’apport de la psychanalyse.

L’opinion Ă©clairĂ©e sait pourtant trĂšs bien ce qu’elles ont de prĂ©cieux et d’essentiel, comme en tĂ©moigne le succĂšs d’audience de la sĂ©rie En thĂ©rapie. C’est, de mĂȘme, bien souvent aprĂšs une longue psychanalyse que ce qui se joue dans l’abus, dans l’inceste peut trouver Ă  se dire dans les tĂ©moignages publics actuels.

FAIRE RECULER CETTE MENACE

Ce Forum, organisĂ© le 27 mai Ă  20h par visio-diffusion en accĂšs libre, donnera la parole Ă  des intervenants – notamment Roland Gori, prĂ©sident de l’Appel des appels, Patrick Landman prĂ©sident de STOP DSM, Patrick Belamich prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration des CMPP, mais aussi psychologues, psychanalystes, professeurs des universitĂ©s, reprĂ©sentants d’associations de familles de patients, de syndicats, etc. – afin d’expliciter ces enjeux et de faire reculer une nouvelle fois cette tentative de faire main basse sur le champ psy.


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