Francesca Biagi Chai - Monique Olivier

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Le 19 décembre 2023, Monique Olivier, ex-épouse du tueur en série Michel Fourniret, a été condamnée pour la troisième fois à la réclusion criminelle à perpétuité. Sa participation aux meurtres perpétrés par son mari est avérée : enlèvements, séquestrations, viols, et assassinats de fillettes nécessairement vierges. Nous avons montré la logique délirante de ces crimes1.

Au cours du procès, l’accent sera porté sur la personnalité de Monique Olivier : est-elle manipulatrice ou sous influence ? Les experts des procès précédents ne sont pas venus à bout de ce questionnement. Monique Olivier va-t-elle enfin dire ses motivations secrètes, montrer sa division et, maintenant que son mari est mort, dans un aveu déchirant, demander pardon ? Or, chacun restera sur sa faim. L’incompréhensible demeure.

« Si la psychanalyse irréalise le crime, elle ne déshumanise pas le criminel2 ». Lacan nous confronte à éclairer ce qu’il en est du criminel comme sujet. C’est son énonciation qui constitue la marque propre du sujet. C’est précisément ce qui est éliminé aujourd’hui, faute d’une clinique et d’une doctrine solide du parlêtre. L’« irréalisation » persiste du fait d’un discours plaqué, extérieur au criminel. Jacques-Alain Miller distingue à ce propos un « double “Je” » : « Il y a deux sujets, le sujet de l’énoncé et le sujet de l’énonciation, celui-ci est le sujet du désir.3 » C’est aussi le sujet de la jouissance, quand la structure n’implique pas le désir. Dans tous les cas, apparait la cohérence d’une position d’être qui ne se dément pas. Elle relève de la logique intime du sujet, elle ressortit du « Qui parle ?4 » Monique Olivier a certes fait des aveux, mais leur dimension toute formelle interroge. Une rationalisation morbide dans sa constance a ici valeur d’énonciation. Elle dit l’absence de morsure des mots sur le corps.

Interrogée sur ses correspondances avec M. Fourniret lorsque celui-ci était détenu, Monique  Olivier considère que « c’était ni fait ni à faire ». Le tueur appelait « membranes sur pattes » les jeunes filles vierges qu’il recherchait. Monique Olivier bégaie, puis souffle cette banalisation : « C’est du mépris pour les gens ». Lorsqu’on lui demande si elle est dangereuse, elle répond comme tombée des nues : « Dangereuse, moi, ça va pas ! » Sur le meurtre d’une baby-sitter, elle rétorque : « Vous n’allez pas me mettre tous les crimes non résolus sur le dos […] je n’ai rien à dire. » Il y a dans ses aveux une réponse absolue.

Sur l’absence de M. Fourniret décédé depuis, elle répond : « Ça me fait peur d’être toute seule comme ça, tout le monde qui me regarde. J’avais un peu moins peur quand on était deux. C’est pas qu’il me rassurait, c’est que je n’étais pas la seule dans cette situation. » Le motif de sa présence au procès est scotomisé.

La suite du procès confirmera le pragmatisme majeur de ce sujet, en apparence atténué par la conscience de ce qui doit être dit en la circonstance, sans que l’on en perçoive la moindre subjectivation. Ainsi la mort de M. Fourniret ne l’a pas « laissée indifférente » : « J’étais un peu déçue qu’il meure avant la fin des procès. » Ce que l’avocat des familles traduit par « il y a deux Monique Olivier » : l’une au discours adapté quand il s’agit de parler de sa vie, son enfance, etc., et une autre différente, aux réponses elliptiques, hésitantes quand il s’agit des crimes. Dès lors qu’elle doit répondre de ses actes, le sujet de l’énonciation se détache comme vide. Des heures d’interrogatoires ne livrent rien de ce qui est attendu sinon le vide forclusif.

Après l’interpellation de M. Fourniret, Monique Olivier révèle les meurtres : « En le dénonçant, je savais que j’irais en prison et c’est mérité. » Pourquoi ne pas l’avoir dénoncé avant ? « Par peur d’aller en prison. » Et vous n’avez plus peur en 2004 ? « Il fallait le faire, il fallait que ça cesse, tant pis si je vais en prison, ma place, je la mérite. » Notons que ces aveux correspondent à ceux de M. Fourniret au moment de son arrestation. Elle ajoute : « C’était plutôt choquant, mais c’était plutôt ridicule de toujours être à la recherche de la virginité. » L’ironie de structure affleure, qui échappe au sujet.

« Je regrette tout ça. Écouter tout ça, ça me… », a-t-elle déclaré sans terminer sa phrase. En un mot qui manque, elle a tout dit.

Francesca Biagi-Chai


[1] Biagi-Chai F., « Fourniret avant Fourniret. Errances de l’expertise psychiatrique », Lettre Mensuelle de l’ECF, « Numéro spécial Les meetings », avril 2008, p. 52-54.

[2] Lacan J., « Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 129.

[3] Miller J.-A., « Double “Je” », Lacan Web Télévision – Miller TV, Paris, Librairie Tschann, 14 juin 2023. Disponible en ligne.

[4] Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 800.

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