Adriana Campos // ce que commande le surmoi. Un point de commentaire.


Le surmoi, entre évidence et concept ?
Olivier Niel


Comment cerner la notion de surmoi telle qu'elle est avancée dans la psychanalyse de Freud à Lacan ? Pour cela nous nous appuierons sur les articles et l’ouvrage[1] d’Adriana Campos. Le surmoi se définit-il ? Quelles conséquences pour la clinique lacanienne ? Comment la psychanalyse lacanienne peut-elle éclairer le rôle de l’Islam[2] aujourd’hui et demain ? 


Avec la répétition ? [3]
Dès le départ l’auteur affirme que son existence s'impose à l'esprit avec une telle force que sa réalité ne peut être mise en question[4], et pour autant toujours méconnu. Le surmoi implique des injonctions qui divisent le sujet par le truchement d'une morale inconscient obscène et féroce. C’est ainsi une loi inhumaine et impitoyable voire insensée qui n’est rien d'autre qu'un savoir ignoré, peut-être même inaccessible[5]. Le surmoi est un des noms de l'inconscient qui entraîne le sujet dans la répétition. C'est l'inconscient comme loi implacable. Un des aspects du surmoi serait ainsi une face de l'inconscient, manifestation de la division du sujet, bourreau sadien dans son expression insensée.[6] Voilà le surmoi comme étranger au sujet, agissant et programmant ce dernier, « enkysté[7] ».


…et le père.
Pour l'auteur, il a le statut de concept forgé en 1923, considéré comme une instance psychique qui tire son origine dans une identification au père qui survient à la fin de l’Œdipe. Le sujet a affaire à une loi contradictoire qui noue l'impossible à l'interdiction[8]. Une incorporation impossible à l'instance du surmoi qui existe à l'intérieur sans être complètement assimilé. L'auteur attire notre attention sur le fait que Lacan a mis l'accent sur la chute de la figure idéalisée à la fin de l’Œdipe, chute du moi-idéal, « promesse non tenue d'une perfection et un bonheur sans faille »[9]. Il parlera du surgissement d'un appel au Père originel. C'est à ce moment que l'on trouvera l’aphorisme lacanien qui dit que le surmoi est celui qui ordonne au sujet de jouir dans une logique délestée du mythe par un recours aux nombres naturels[10]. Le surmoi est ainsi, dans cette dernier perspective, la haine de dieu et vocifération révoltée.


…et Dieu ?[11]
À ce moment de son enseignement, Lacan va tenter de nouer Dieu et le surmoi dans un moment conclusif. Le surmoi se situe essentiellement sur le plan symbolique de la parole tout en étant un impératif cohérent avec le registre et la notion de la loi, c'est-à-dire du langage. Si Freud a dû élaborer cette notion de surmoi c'est bien parce que la loi déraille. « Le surmoi est à la fois la loi et sa destruction »[12]. Pour autant persiste le « tu dois »[13], ordre insensé. La dimension religieuse est une nécessité dans le monde humain. Dieu vient ici à une place qui a les mêmes fonctions que le père originel et le surmoi prenant les formes d'un appel à une jouissance absolue qui ne passerait pas par la castration, en un court-circuit entre l'intime et l'universel[14]. Enfin le surmoi devient un agent d’un pousse-à-dire qui est probablement le moteur de l’enseignement de Lacan[15]. 


… et la jouissance ?
 « L'analyse trouve un allié dans le surmoi[16] ». Lacan avance que le surmoi « exhorte à la jouissance et […] ordonne de jouir »[17]. Le sujet en est doté et en même temps, empoisonné. Il pose une question à l'analyse : connaître les coordonnées de l'entrée, de l'introduction, du signifiant que présente le patient avec lequel il s'arrange pour vivre en tant qu'organisme. Il est la parole même à entendre comme le commandement, privée de tous ses sens, un « tu dois pur et arbitraire »[18], rupture et discontinuité dans la chaîne signifiante. Ces quelques mots indélébiles ont frappé et figer le sujet. Pour JAM[19] le surmoi est l'un des noms de « l'inconscient-répétition »[20]. Il dira également “la fonction de la parole n'est pas seulement lié à la structure du langage mais bien à la substance de la jouissance”. En quoi ce surmoi peut-il être un allié de l'analyse ? Comment devient-il ce pousse-à-dire dont Lacan se plaisait de rappeler qu'il était probablement à l'origine de son enseignement ? Avec ce pousse-à-dire JAM nous rappelle que la parole analysante est une parole jouissante. Le travail d'une analyse serait ainsi de permettre un traitement de la jouissance par la parole. Est-ce à dire que le traitement de cette jouissance aurait pour limite l'infini ? Puisqu'il s'agit principalement de situer dans le registre du symbolique le surmoi c'est qu'il existe probablement une part imaginaire et une part réelle. Qu'en est-il de ces deux autres registres et comment peut-on construire un surmoi basé sur le modèle borroméen ?
…et l’Islam, une impossible proposition ?
À la lecture du livre et des articles d'Adriana Campos[21], notre attention a été attiré sur la transcription de l'intervention de culture de JAM durant les travaux de l'Institut psychanalytique de l'enfant intitulé Interpréter l'enfant. Il propose de travailler l'année suivante sur la notion d'adolescence[22] et fait une remarque sur la place de l’Islam, tant dans son versant religieux qu’extrémiste. Un Islam avec la psychanalyse pourrait-il être promu comme béquille, suppléance, symptôme pour des sujets désorientés ? Comment repérer dans la pratique les moments cruciaux vers un idéal narcissique sacrificiel ?
 


Conclusion
La richesse et la densité des travaux d’Adriana Campos nous offre ici un difficile travail de synthèse. L’actualité de ce concept pour s’orienter dans la clinique d’aujourd’hui apparait évidente à les travailler. Comment tirer des conséquences pour la pratique psychanalytique, même appliquée ? Le déclin du père, du Nom-du-père, de la tradition en occident, la montée au zénith de l’objet a, trouveront-il un possible nouage avec l’Islam et la psychanalyse pour une jeunesse désorientée ? N’est-ce pas d’ailleurs l’autre nom d’une psychose ordinaire généralisée ?




Bibliographie
Campos, A. (2023). Ce que commande le surmoi, Impératifs et sacrifices au XXIé siècle. Rennes: Presses Universitaires de Rennes.
Campos, A. (2023). Jouis comme Dieu le veut! Ornicar 57.
Campos, A. (2023). Le surmoi et le père. Intervention dans le cadre de l'atelier du Forda "Le père en question". 
Campos, A. (2024, novembre). Extraire un corps étranger ? MENTAL 50.
Campos, A. (2025, janvier). Le surmoi, un allié de l'analyste. La cause du désir.
Lacan, J. (1966). Ecrits, La psychanalyse et son enseignement. Paris: Seuil.
Lacan, J. (1978, juillet). Sur le plaisir et la règle fondamentale. Lettres de l'Ecole freudienne de Paris, 24.
Miller, J. A. (2015). En direction de l'adolescence. Travaux récents de l'Institut psychanalytique de l'Enfant.
Miller, J. A. (2024, novembre). Clinique du surmoi. MENTAL 50.




________________
[1] (Campos, Ce que commande le surmoi, Impératifs et sacrifices au XXIé siècle, 2023)
[2] Le choix de cet angle puise son origine dans ma clinique au CMP de le Belle de Mai, dans le troisième arrondissement de Marseille. La file active des patients reçus compte un grand nombre de sujets ayant pour religion l’Islam, jeunes et ayant vécu un séjour carcéral. Nous tenterons de nous appuyer sur les travaux d’Adriana Campos dans son ouvrage Ce que commande le surmoi.
[3] (Campos, 2024), Extraire un corps étranger.
[4] Ibid. ; « Malgré son évidence ». Cette assertion constitue un postulat qui implique ainsi une thèse forte. Y-aurait-il un Surmoi qui trouve dans le réel sa vérité, indiscutablement ?
[5] (Miller, 2024) ; cité par l’auteur.
[6] Cela nous inspire, avec une plus grande légèreté que Sade et ses cent-vingt journées de Sodome, le jeu absurde et comique apprécié des jeunes du « Tu préfères ».
[7] (Campos, 2024)
[8] (Campos, Le surmoi et le père, 2023) ; l’auteur cite Freud : « Ainsi, comme le père, tu dois être et ainsi comme le père, tu n’as pas le droit d’être ».
[9] (Campos, Le surmoi et le père, 2023)
[10] Nous laisserons ce point pour un développement ultérieur en lien avec l’Islam.
[11] (Campos, Jouis comme Dieu le veut!, 2023)
[12] (Lacan, 1966), cité par l’auteur.
[13] (Campos, Jouis comme Dieu le veut!, 2023)
[14] Les religions réalisant ce court-circuit.
[15] Lacan lui-même avance cette hypothèse.
[16] (Lacan, Sur le plaisir et la règle fondamentale, 1978), cité par l’auteur.
[17] (Campos, Le surmoi, un allié de l'analyste, 2025)
[18] Ibid.
[19] Jacques-Alain Miller
[20] (Miller, 2024). Op.cit.
[21] (Campos, Ce que commande le surmoi, Impératifs et sacrifices au XXIé siècle, 2023), en particulier ses développements à la fin de sic volo, sic jubeo (le père et les nombres), Ça vocifère (sur l’objet voix) et bien entendu l’Islam (sur les conséquences d’un Dieu Un et ses extrêmes).
[22] (Miller, En direction de l'adolescence, 2015) : Lors de cette intervention, JAM fait référence à la place possible de l'Islam face à la destitution de la tradition dans la société occidentale et face à la science. Il précise que l'Islam est resté intouché par ce qu'il appelle « les mutations de l'ordre symbolique et qu'il se présente sur le marché occidental comme une des disponibilités via les canaux de communication moderne ». Il n'aurait pas été « intimidés par le discours de la science ». C'est une religion qui dit ce qu'il faut faire et ainsi est particulièrement adapté à la forme sociale du non-rapport-sexuel puisqu'il prescrit une séparation de sexe. « L’Islam est spécialement conforme à la structure ». De surcroît Allah est un dieu qui n'est pas un père. Allah c'est le 1 tel qu'il a été développé par JAM dans un cours précédent. Allah est ainsi un dieu absolu, sans dialectique et sans compromis. Il posera ainsi cette affirmation sous forme de question : « quoi de plus logique pour les adolescents désorientés que de s'en remettre à l'Islam ? ». L'Islam est ainsi avancé comme une véritable « bouée de sauvetage pour les adolescents » […] « qu'on pourrait leur recommander ». Le conditionnel est bien sûr employé en référence aux dérives extrémistes incarnés à cette époque par l'État Islamique. 
D'une certaine manière nous pourrions considérer l'Islam comme une solution possible à la destitution du père et de la tradition en Occident puisque Allah et Mahomet ne s'inscrit pas du côté du père mais bien de l’Un ? L'Islam peut même dans sa forme d'appartenance au groupe (oumma, cf. Campos, Ce que commande le surmoi, Impératifs et sacrifices au XXIé siècle, 2023, l’Islam) permettre au sujet adolescent d'avoir un corps, offrant ainsi « un certain accès à un je jouis du corps de l'Autre dont je fais partie ». Enfin, contrairement ce que propose le christianisme qui aboutit à un narcissisme suprême de la cause perdue l'Islam promeut la cause triomphe.




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