Temoigner de l'effet de témoignage
Carolina Koretzky passe un Gap.
Olivier Niel
La lecture de ces deux textes produit un effet remarquable. Les témoignages de passe possèdent cette particularité de faire écho au plus profond de moi bien que relevant de l'incomparable. D'autres témoignages de passe ont eu cet effet. Je pense notamment à celui de Laurent Dupont. Parfois, l’effet de ressemblance est remarquable et je m’entends penser “moi aussi, mais pas comme ça”. Il s'agira dans ce travail plutôt d’un jeu de remarques et de questions. La première des questions est ainsi pour moi-même. Comment parler de vos témoignages sans pour autant être dans une périphrase inutile voire produire des falaises ? La paraphrase ne sera pas, il me semble, à la hauteur de votre exercice. Le témoignage de passe constitue pour moi l’agalma d’une cure analytique, trésor résiduel trouvé par l’effort d’écriture consécutif d’une lecture précise et ciselé de son analyse, dans un effort poétique de transmission d’un hors sens.
Vous nous avez proposé deux textes. Chacun propose deux termes, deux temps distincts et pourtant articulés (Peut-on parler ici de moment dialectique ?). Le premier s'articule entre partir et arrivées, séparé par la coupure d’un slash, quand le second propose construire l'objet, et s'en détacher, diade articulé par une ponctuation et une conjonction de coordination. Deux trajets, d’une certaine manière, dont le parcours se confirme dans l’après-coup.
Voilà qui me fait penser à un commentaire de Jacques Alain Miller. Il propose de souligner la logique de votre témoignage ainsi que les points déterminants. Ce qui m’a intéressé se situe plutôt sur l’effet d’authenticité de votre propos souligné par Miller. Il me manque donc votre voix, que pour le moment je n’ai pas à l’oreille. Quelle place possède la voix dans ce dernier acharnement à faire entendre les vibrations du corps affecté du langage ?
Durant les enseignements de l'antenne clinique de Gap autour du thème Tous fous, Elsa Lamberty a produit un enseignement dans lequel elle souligne votre rapport au silence et la façon dont il évolue durant la cure pour trouver son issue en se soutenant de la jouissance féminine, ce qui a suscité chez moi un vif intérêt. L’accès à cette jouissance
Autre constitue-t-il un signe de fin d’analyse ?
Je m'intéresse au fait que vous soulignez que la fin d'une analyse ne corresponde en rien à une supposée reconnaissance de parcours didactique. Cela rappelle les temps post-freudiens de l’identification au père de la psychanalyse. Lacan fera un écart. La fin d'analyse apparaît comme un moment de transmission des effets sur un sujet en analyse dont l'École rend possible l’adresse.m de son énoncé. Pourriez-vous en dire plus concernant cette dimension de la transmission de la psychanalyse, peut-être même au-delà de l'École (publication du texte et lecture) par le témoignage de passe ? En quoi le témoignage de cette “certitude de la fin” offre la possibilité de transmettre ce qu'il y a de plus caractéristique du parlêtre ?
La psychanalyse apparaît avec vous comme un acharnement, séance après séance, à défaire les nœuds inéluctables du destin, offrant la possibilité de troquer une lecture dramatique et pathétique de son histoire pour une lecture logique. C'est ainsi passé de ce qui “sépare, ce vide et se distancie [à] ce qui persiste, insister et reste”. Pourriez-vous reprendre en quoi les deux rêves que vous citez dans le texte construire l'objet et s’en détacher permettent de construire “un nœud entre acharnement et silence” ?
Dans chaque texte vous faites appel à deux poètes francophones, Henri Michaux et René Char. Le premier pour évoquer des vers qui sont apparus lors de la cure et le second pour appuyer une version des enjeux de la transmission. Ma question est celle-ci : qu'en est-il de votre rapport à la poésie francophone ? A-t-elle une place déterminant dans la fin de votre analyse ? Et plus généralement de l’écriture ?
Pour terminer, dans vos deux textes il est question de l'amour, de la place particulière qu'il a eu à la fois comme injonction de tout donner, générateur de la nécessité de partir, comme métaphore ouvrant sur une relation enfin pour arriver à un au-delà de l'amour. Pourriez-vous déplier quelle place l'amour peut-elle avoir à la fin d'une cure ? Est-ce un au-delà de la formule lacannienne “donner ce que l'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas” ?