Antenne clinique de Gap 2024/24 - Textes proposés à l'atelier de lecture

Jacques Lacan, 
Le Verbe fait jouir

Jacques Lacan
Réponse au commentaire de Jean Hyppolite (Extrait)

Anna Aromi, Xavier Esqué
Psychoses ordinaires 

Sigmund Freud
Pourquoi la guerre ?

 Laurent Dupont
Du « tout le monde est « fou » au « pas folles-du-tout

Jacques-Alain Miller
L’outrepasse ou la passe dépassée

Jacques Lacan
Le symbolique, l’imaginaire et lé réel (Extrait de « La troisième »)

PREMIER TEXTE

Jacques Lacan


Le verbe fait jouir  


- D'après ce que j'ai compris, dans la théorie lacanienne, à la base de l'homme, il n'y a pas la biologie ou la physiologie, mais le langage. Saint Jean l'avait déjà dit : « Au commencement était le Verbe. » Vous n'avez rien ajouté à cela. 
 J'y ai ajouté un petit quelque chose. 
« Au commencement était le Verbe », je suis bien d'accord. Mais avant le commencement, où est-ce qu'il était ? C'est cela qui est vraiment impénétrable. Il y a l'évangile de saint Jean, seulement il y a aussi un autre truc qui s'appelle la Genèse, et qui n'est pas tout à fait sans rapport avec le Verbe. On a rabouté les deux en disant que le Verbe était l'affaire de Dieu le Père, et qu'on reconnaissait que la Genèse était aussi vraie que l'Évangile de saint Jean à ceci, que c'est avec le Verbe que Dieu créait le monde. C'est un drôle de machin.  
Dans l'Écriture juive, l'Écriture sainte, on voit très bien à quoi sert que le Verbe ait été non pas au commencement mais avant le commencement. C'est que, comme il était avant le commencement, Dieu se croit en droit de faire toutes sortes de semonces aux personnes à qui il a fait un petit cadeau, du genre « petit-petit-petit », comme on donne aux poulets. Il a appris à Adam à nommer les choses. Il ne lui a pas donné le Verbe, parce que ce serait une trop grosse affaire, il lui a appris à nommer. Ce n'est pas grand-chose que de nommer, c'est tout à fait à la mesure humaine. Les êtres humains ne demandent que ça, que les lumières soient tempérées. La lumière en soi, c'est absolument insupportable. D'ailleurs, on n'a jamais parlé de lumière au siècle des Lumières, on a parlé d'Aufklärung. « Apportez une petite lampe, je vous en prie. » C'est déjà beaucoup. C'est même déjà plus que nous ne pouvons en supporter. 
Je suis pour saint Jean et son « Au commencement était le Verbe », mais c'est un commencement énigmatique. Cela veut dire ceci : pour cet être charnel, ce personnage répugnant qu'est un homme moyen, le drame ne commence que quand le Verbe est dans le coup, quand il s'incarne, comme dit la religion, la vraie. C'est quand le Verbe s'incarne que ça commence à aller vachement mal. Il n'est plus du tout heureux, il ne ressemble plus du tout à un petit chien qui remue la queue, ni non plus à un brave singe qui se masturbe. Il ne ressemble plus à rien du tout. Il est ravagé par le Verbe. 
Moi aussi je pense que c'est le commencement. Vous me dites que je n'ai rien découvert. C'est vrai. Je n'ai jamais rien prétendu découvrir. Tous les trucs que j'ai pris, ce sont des trucs que j'ai bricolés par-ci par-là.

Et puis surtout, figurez-vous que j'ai une certaine expérience de ce métier sordide qui s'appelle être analyste. Et là, j’en apprends un bout, et le « Au commencement était le Verbe » prend plus de poids pour moi. Je vais vous dire une chose : s'il n'y avait pas le Verbe, qui, il faut bien le dire, les fait jouir, tous ces gens qui viennent me voir, pourquoi est-ce qu'ils reviendraient chez moi, si ce n'était pas pour à chaque fois s'en payer une tranche, de Verbe ? Moi, c'est sous cet angle-là que je m'en aperçois. Ça leur fait plaisir, ils jubilent. Sans ça, pourquoi est-ce que j'aurais des clients, pourquoi est-ce qu'ils reviendraient aussi régulièrement, pendant des années ? Vous vous rendez compte ! 
Pour l'analyse au moins, c'est vrai, au commencement est le Verbe. S'il n'y avait pas ça, je ne vois pas ce qu'on foutrait là ensemble. 

DEUXIEME TEXTE

Jacques Lacan


La Verwerfung (Extrait de « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite » 



Le procès dont il s'agit ici sous le nom de Verwerfung et dont je ne sache pas qu'il ait jamais fait l'objet d'une remarque un peu consistante dans la littérature analytique, se situe très précisément dans l'un des temps que M. Hyppolite vient de dégager à votre adresse dans la dialectique de la Verneinung : c'est exactement ce qui s'oppose à la Bejahung primaire et constitue comme tel ce gui est expulsé. Comme vous allez en voir la preuve à un signe dont l'évidence vous surprendra…  
J'irai donc plus avant, sans que les plus férus de l'idée de développement, s'il en est encore ici, puissent m'objecter la date tardive du phénomène, puisque M. Hyppolite vous a admirablement montré que c'est mythiquement que Freud le décrit comme primordial. 
La Verwerfung donc a coupé court à toute manifestation de l'ordre symbolique, c'est-à-dire a la Bejahung que Freud pose comme le procès primaire où le jugement attributif prend sa racine, et qui n'est rien d'autre que la condition primordiale pour que du réel quelque chose vienne à s'offrir à la révélation de l'être, ou, pour employer le langage de Heidegger, soit laissé-être. Car c’est bien à ce point reculé que Freud nous porte, puisque ce n'est que par après, que quoi que ce soit pourra y être retrouvé comme étant. 
Telle est l'affirmation inaugurale, qui ne peut plus être renouvelée sinon à travers les formes voilées de la parole inconsciente, car c'est seulement par la négation de la négation que le discours humain permet d'y revenir. 
Mais de ce qui n'est pas laissé être dans cette Bejahung qu'advient-il donc ? Freud nous l'a dit d'abord, ce que le sujet a ainsi retranché (verworfen), disions-nous, de l'ouverture à l'être, ne se retrouvera pas dans son histoire, si l'on désigne par ce nom le lieu où le refoulé vient à réapparaître. Car, je vous prie de remarquer combien la formule est frappante d'être sans la moindre ambiguïté, le sujet n'en voudra « rien savoir au sens du refoulement ». Car pour qu'il eût en effet à en connaître en ce sens, il faudrait que cela fût venu de quelque façon au jour de la symbolisation primordiale. Mais encore une fois qu'en advient-il ? Ce qu'il en advient, vous pouvez le voir : ce qui n'est pas venu au jour du symbolique, apparaît dans le réel. 
Car c'est ainsi qu'il faut comprendre l'Einbeziehung ins Ich, l'introduction dans le sujet, et l'Ausstossung aus dem lch, l'expulsion hors du sujet. C'est cette dernière qui constitue le réel en tant qu'il est le domaine de ce qui subsiste hors de la symbolisation. Et c'est pourquoi la castration ici retranchée par le sujet des limites mêmes du possible, mais aussi bien par-là soustraite aux possibilités de la parole, va apparaître dans le réel, erratiquement, c'est-à-dire dans des relations de résistance sans transfert, -nous dirions, pour reprendre la métaphore dont nous usions tout à l'heure, comme une ponctuation sans texte. 

Car le réel n'attend pas, et nommément pas le sujet, puisqu'il n'attend rien de la parole. Mais il est là, identique à son existence, bruit où l'on peut tout entendre, et prêt à submerger de ses éclats ce que le « principe de réalité » y construit sous le nom de monde extérieur. Car si le jugement d'existence fonctionne bien comme nous l'avons entendu dans e mythe Freudien, c’est bien aux dépens d'un monde sur lequel la ruse de la raison a deux fois prélevé sa part. 
Pas d'autre valeur à donner en effet à la réitération du partage du dehors et du dedans qu'articule la phrase de Freud : Es ist, wie man sieht, wieder eine Frage des Aussen und Innen. « Il s'agit, comme on le voit, à nouveau d'une question du dehors et du dedans. » A quel moment, en effet, cette phrase vient-elle ? - Il y a eu d'abord l'expulsion primaire, c'est-à-dire le réel comme extérieur au sujet. Puis à l'intérieur de la représentation (Vorstellung), constituée par la reproduction (imaginaire) de la perception première, la discrimination de la réalité comme de ce qui de l'objet de cette perception première n'est pas seulement posé comme existant par le sujet, mais peut être retrouvé (wiedergefunden) à la place où il eut s'en saisir. C'est en cela seulement que l’opération, toute déclenchée qu'elle soit par le principe du plaisir, échappe à sa maîtrise. Mais dans cette réalité que le sujet doit composer selon la gamme bien tempérée de ses objets, le réel, en tant que retranché de la symbolisation primordiale, y est déjà. Nous pourrions même dire qu'il cause tout seul. Et le sujet peut l'en voir émerger sous la forme d'une chose qui est loin d'être un objet qui le satisfasse, et qui n'intéresse que de la façon la plus incongrue son intentionnalité présente : c'est ici l'hallucination en tant qu'elle se différencie radicalement du phénomène interprétatif. Comme en voici de la plume de Freud le témoignage transcrit sous la dictée du sujet. 
Le sujet lui raconte en effet que « quand il avait cinq ans, il jouait dans le jardin à côté de sa bonne, et faisait des entailles dans l'écorce d'un de ces noyers (dont on sait le rôle dans son rêve). Soudain, il remarqua, avec une terreur impossible à exprimer, qu'il s'était sectionné le petit doigt de la main (droite ou gauche ? Il ne le sait pas) et que ce doigt ne tenait plus que par la peau. Il n'éprouvait aucune douleur, mais une grande anxiété. Il n'avait pas le cœur de dire quoi que ce soit à sa bonne qui n'était qu'à quelques pas de lui ; il se laissa tomber sur un banc et demeura ainsi, incapable de jeter un regard de plus sur son doigt. A la fin, il se calma, regarda bien son doigt, et - voyez vous ça ! - il était tout à fait indemne ».

TROISIEME TEXTE
Anna Aromi, Xavier Esqué

Psychoses ordinaires 


Avant d'être un levier, les psychoses ordinaires se sont présentées comme une zone d'ombre. Avec le déclin du Nom-du-Père et l'ascension de l'objet a au zénith de la civilisation, on constatait dans la pratique analytique une augmentation de cas ne présentant pas les éléments précis et concluants d'une névrose. Cas rares qui ne paraissaient entrer ni dans l'une ni dans l'autre des catégories de la clinique binaire. Ces cas, qui ont d'abord été considérés comme des « inclassables de la clinique psychanalytique », occupaient la zone frontière du binaire structural, en l'élargissant. Une zone d'ombre que J.-A. Miller - à la différence de la catégorie d'état limite ou borderline utilisée à l'IPA - a commencé à éclairer par le terme de « psychose ordinaire », l'ouvrant ainsi à la mise au travail. 
La psychose ordinaire n'est donc pas une nouvelle catégorie clinique, mais un appareil épistémique supplémentaire. Les psychoses ordinaires, d'emblée, ne se laissent pas circonscrire. On peut les rencontrer partout, même là où on les attend le moins. Pour autant, elles ne se situent pas dans un no man’s land, ce sont bien des psychoses. Et à les situer dans ce champ, tout l'ensemble s'en trouve interrogé. 
Il convient de préciser que les psychoses ordinaires ne dissolvent pas le champ de la névrose mais d'une certaine façon le résolvent, puisqu'elles dégagent la névrose de toute prétendue équivalence avec l'idée de « normalité ». L'idée de normalité n'est plus soutenable dès lors que la norme phallique perd son hégémonie traditionnelle, en se trouvant inclue comme une solution parmi d'autres pour orienter la jouissance. Ainsi ce prédicat ségrégatif, qui n'a jamais pu se prévaloir de Lacan - les normaux sont les névrosés, les autres sont des psychotiques -, n'est plus soutenable d'aucun point de vue. 
Les psychoses ordinaires permettent d'élargir l'éventail des solutions possibles au trou forclusif. Dans les psychoses extraordinaires nous avons sous forme de métaphore délirante la réparation du trou, quand celui-ci s'est déjà manifesté par un déclenchement comme irruption du réel ; au contraire, dans les psychoses ordinaires les modalités de réparation se multiplient et se diversifient quand elles sont prises dans leur bizarrerie, avec leurs petites inventions, dans leur radicale singularité. Ces solutions singulières ont en commun la possibilité d'une auto-réparation du trou qui empêche ou diffère son éclatement manifeste. Ordinaires ou extraordinaires, nous y rencontrons toujours, les indices d’« un trou, une déviation ou une déconnection qui se perpétue». 

Ces indices du trou de la forclusion peuvent être spectaculaires, explosifs, extraordinaires ; dans ce cas ils ne sont pas difficiles à reconnaître par le sujet et son entourage. Mais ils peuvent aussi être discrets, subtils, de sorte qu'ils passent facilement inaperçus du sujet lui-même, de son entourage et surtout du clinicien. Ce n'est que sous transfert que ces signes discrets, en tant que tels, peuvent être localisés. 
Le déclenchement d'une psychose, dans la clinique structurale, est l'effet de la mauvaise rencontre avec Un-père qui apparaît « en opposition symbolique au sujet », ce qui provoque un « déchaînement » du signifiant dans le réel. Tandis que ce qu'on appelle les néodéclenchements sont ceux qu'on détecte à partir de quelques points de fuite indiquant de petits débranchements de l'Autre qui produisent une délocalisation de la jouissance. Le déclenchement, néo ou franc, est alors crucial comme indice du trou forclusif caractérisant toute psychose. J.-A. Miller, dans un texte incontournable pour orienter les travaux du Congrès, propose trois sortes d’externalités : l'externalité sociale, corporelle et subjective. 
On peut y lire que ce que nous cherchons à saisir avec la psychose ordinaire, c'est ce que Lacan appelle « un désordre provoqué au joint le plus intime du sentiment de la vie chez le sujet ». Ce désordre, véritable indice diagnostique, affecte le sentiment de la vie en tant qu'effet de la non inscription de la signification phallique. Dans les psychoses déclenchées ce désordre est évident, mais qu'en est-il dans les psychoses ordinaires ? C'est ce que - sous transfert - un psychanalyste peut saisir à partir de la présence de quelques signes discrets. Sous transfert signifie grâce à - le transfert étant ce qui permet de les situer-, mais aussi à l'intérieur de, c'est-à-dire qu'ils se saisissent dans la relation analytique. Il s'agit d'une clinique fine, d'un tissage subtil, qui tient compte de la tonalité et de la gradation, orientée vers la recherche des effets de la forclusion. 

QUATRIEME TEXTE


Sigmund Freud

Pourquoi la guerre ?



Vous vous étonnez qu'il soit si facile de susciter chez les hommes l'enthousiasme guerrier, et vous présumez que quelque chose agit en eux, une pulsion de haine et d'extermination, qui répond à une telle folie prédatrice. A nouveau je ne puis que vous donner raison sans restriction. Nous croyons à l'existence d'une telle pulsion et nous nous sommes efforcés, ces dernières années précisément, d'en étudier les manifestations. Puis-je à ce propos vous exposer une partie de ma théorie des pulsions, à laquelle en psychanalyse nous sommes parvenus après maint tâtonnement et atermoiement ? Nous admettons que les pulsions de l'homme ne sont que de deux sortes, soit celles qui visent à conserver et à unir - nous les nommons érotiques, tout à fait dans le sens de l'Eros dans le Banquet de Platon, ou sexuelles par une extension consciente du concept populaire de sexualité -, et d'autres, qui visent à détruire et à tuer ; nous regroupons celles-ci sous le terme de pulsion d'agression ou pulsion de destruction. Vous voyez, ce n'est en fait que la transmutation théorique de l'opposition universellement connue entre l'amour et la haine, qui entretient peut-être une relation originaire avec le couple attraction-répulsion, lequel joue un rôle dans votre domaine. Cela étant, permettez que nous ne nous engagions pas trop hâtivement dans les jugements de valeur sur ce qui est bien et sur ce qui est mal. L'une de ces pulsions est tout aussi indispensable que l'autre ; des interactions et des réactions de ces deux pulsions procèdent les phénomènes de la vie. Or, il semble qu'une pulsion d'une de ces deux sortes ne peut pour ainsi dire jamais s'exercer isolément ; elle est toujours liée ou, comme nous disons, alliée à une certaine quantité de l'autre partie, qui modifie son but ou qui seule permet, le cas échéant, sa réalisation. C'est ainsi que la pulsion d'autoconservation par exemple est assurément de nature érotique, mais elle a précisément besoin d'avoir à sa disposition l'agression si elle veut mener à bien son dessein. De même, la pulsion amoureuse orientée sur des objets a besoin d'un certain appoint de la pulsion d'appropriation, si toutefois elle veut s'emparer de son objet. Ce sont les difficultés à isoler les deux sortes de pulsions dans leurs manifestations qui nous ont si longtemps empêchés de les reconnaître. 
Si vous voulez me suivre un bout de chemin, sachez que les actions humaines permettent de reconnaître une complication supplémentaire d'une autre sorte. II est fort rare que l'action soit l'œuvre d'une unique motion pulsionnelle, qui est en soi déjà nécessairement composée d'Eros et de destruction. En règle générale, plusieurs motifs agencés de la même façon doivent coïncider pour rendre l'action possible. L'un de vos collègues le savait déjà, un certain Pr G. Ch. Lichtenberg, qui enseignait la physique à Göttingen à l'époque de nos classiques ; mais peut-être eut-il encore plus d'importance comme psychologue que comme physicien. Il inventa la rosace des motifs en disant : « Les motifs pour lesquels on fait quelque chose pourraient être classés comme les 32 vents, et leurs noms formés de manière analogue, par exemple pain-pain-gloire ou gloire-gloire-pain. » Quand les hommes sont poussés à la guerre, toute une série de motifs peuvent en eux y répondre favorablement, nobles et triviaux, ceux qu'on proclame bien haut et d'autres qu'on passe sous silence. Nous n'avons aucune raison de tous les mettre à nu. Le plaisir pris à l'agression et à la destruction compte certainement parmi eux ; d'innombrables cruautés de l'histoire et de la vie quotidienne en corroborent l'existence et la force. L'amalgame de ces tendances destructrices avec d'autres, érotiques et idéales, facilite naturellement leur satisfaction. Parfois, en entendant parler des atrocités de l'histoire, nous avons l'impression que les motifs idéaux n'ont servi que de prétexte aux appétits destructeurs ; d'autres fois, s'agissant par exemple des cruautés de la Sainte Inquisition, nous pensons que les motifs idéaux se sont imposés à la conscience, et que les motifs destructeurs leur ont apporté un renfort inconscient. Les deux sont possibles. 
J'ai scrupule à abuser de votre intérêt, lequel se porte sur la prévention des guerres et non sur nos théories. J'aimerais cependant m'attarder encore un instant sur notre pulsion de destruction, dont la faveur n'est nullement à la hauteur de l'importance. Au prix de quelque effort de spéculation, nous sommes en effet parvenus à concevoir que cette pulsion est à l'œuvre en tout être vivant, et tend donc à provoquer sa décomposition et à ramener la vie à l'état de la matière inerte. Elle méritait en toute rigueur le nom de pulsion de mort, tandis que les pulsions érotiques représentent les aspirations à la vie. La pulsion de mort devient pulsion de destruction en se tournant, au moyen d'organes spécifiques, vers l'extérieur, contre les objets. L'être vivant préserve pour ainsi dire sa propre vie en détruisant celle d'autrui. Mais une partie de la pulsion de mort reste active à l'intérieur de l'être vivant, et nous avons tenté de déduire toute une série de phénomènes normaux et pathologiques de cette intériorisation de la pulsion de destruction. Nous avons même commis l'hérésie d'expliquer la naissance de notre conscience morale par un tel retournement de l'agression vers l'intérieur. II n'est sûrement pas anodin, vous le remarquez, que ce processus s'accomplisse à trop grande échelle ; c'est carrément malsain, alors que le retournement de ces forces pulsionnelles vers la destruction du monde extérieur soulage l'être vivant et a nécessairement un effet bénéfique. Qu

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